A l'horizon, les témoins - 2011
« le sable était d'or et sur l'immense front de mer dansait la tolérance » Gilbert Sinoué
Depuis 2001, le Maroc est en chantier permanent. Les côtes méditerranéenne et atlantique ne cessent de se métamorphoser au gré des promoteurs immobiliers. Tout a changé... L'horizon seul n'a pas bougé. Les lagunes se sont effacées, recouvertes doucement par des constructions stéréotypées. Port de plaisance, résidences, villas, golf, hôtels bordent le front de mer. Le bétonnage du littoral a commencé. Tout s'accélère depuis quelques années. Les habitants sont les témoins de la transformation de leur pays. Face à la mer, ils s'arrêtent, impassibles. On ne peut jamais savoir, s'ils rêvent d'un ailleurs, s'ils recherchent un souvenir, un lieu enfoui sous les nouvelles constructions, ou si simples témoins, ils attendent de voir ce que leur offrira ce nouveau visage du Maroc. Entre deux saisons, les lieux sont vides, les témoins en profitent pour déambuler. Ils sont presque immobiles comme si cette accélération ne les effleuraient pas. Tel Pénélope et son amour perdu, ils guettent l'horizon.
Baptiste de Ville d'Avray
RADIOGRAPHIE D'UNE ANGOISSE TRANQUILLE.
Nous avons tous suivi, avec intérêt, étonnement, espoir, angoisse, les événements qui secouent en ce moment le Moyen-Orient et qui ont été appelés, prenant exemple sur la Tunisie, les révolutions du jasmin. Mais quels que soient la joie que nous avons éprouvée à l'écoute des nouvelles qui nous parvenaient de cet ailleurs si présent, la peur que les choses retombent dans un statuquo qui renverrait à une stagnation, ou pire, à un retour vers des situations auxquelles nous avons assisté ici et là, bref, que ces signes d'espoir ne se transforment en un avortement douloureux ne nous a jamais quittés.
Le Maroc, royaume où l'avènement d'un roi jeune avait suscité tant d'espoir n'échappe pas aux questionnements que provoque la région. Les régimes autocrates ont la vie dure, comme en témoigne le spectacle des répressions au Yémen, Bahreïn ou en Syrie. Nous vivons comme dans une faille spatio-temporelle au sortir de laquelle personne ne peut prédire l'avenir. Il y a comme une attente latente, partout dans les pays de la Méditerranée, et c'est cette attente, à la fois tranquille et pleine de tension, que l'oeil de Baptiste de Ville d'Avray a su figer.
Ces photographies montrent la contradiction entre un mouvement perpétuel et une immobilité des corps et même des animaux qui tous, les yeux tournés vers l'avenir, semblent s'interdire de trop rêver. Le dialogue entre les espaces vides, les espaces en chantier et les jolies maisons et les hommes et les femmes qui vaquent à leurs occupations quotidiennes, les adolescents qui contemplent la mer sans trop vouloir en abolir les limites, tout semble figé dans l'attente d'un miracle qui, soudain, redonnerait au cours de la vie son flot naturel.
Sans doute, les signes avant-coureurs sont-ils y découvrir ici. Comme un ciel avant l'orage, comme une prière sourde adressée à un Dieu sourd inabordable. La force du travail de Baptiste de Ville d'Avray est d'être parvenu à nous révéler, sans exotisme racoleur, ce que James Baldwin avait nommé : l'évidence des choses que l'on ne voit pas.
Mieux que des foules en colère, ces images nous livrent une radiographie d'un état intérieur qu'il est bien plus difficile de capturer, mais qui n'en détient pas moins, dans ses cadrages et le choix de ses sujets, les éléments d'une étrange prémonition. La pièce de monnaie est sur la tranche. Et chacun attend, avec une angoisse tranquille, de savoir de quel côté elle va retomber.
Paris, 30 juin 2011
Simon Njami, écrivain, critique et commissaire d'exposition
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Depuis 2001, le Maroc est en chantier permanent. Les côtes méditerranéenne et atlantique ne cessent de se métamorphoser au gré des promoteurs immobiliers. Tout a changé... L'horizon seul n'a pas bougé. Les lagunes se sont effacées, recouvertes doucement par des constructions stéréotypées. Port de plaisance, résidences, villas, golf, hôtels bordent le front de mer. Le bétonnage du littoral a commencé. Tout s'accélère depuis quelques années. Les habitants sont les témoins de la transformation de leur pays. Face à la mer, ils s'arrêtent, impassibles. On ne peut jamais savoir, s'ils rêvent d'un ailleurs, s'ils recherchent un souvenir, un lieu enfoui sous les nouvelles constructions, ou si simples témoins, ils attendent de voir ce que leur offrira ce nouveau visage du Maroc. Entre deux saisons, les lieux sont vides, les témoins en profitent pour déambuler. Ils sont presque immobiles comme si cette accélération ne les effleuraient pas. Tel Pénélope et son amour perdu, ils guettent l'horizon.
Baptiste de Ville d'Avray
RADIOGRAPHIE D'UNE ANGOISSE TRANQUILLE.
Nous avons tous suivi, avec intérêt, étonnement, espoir, angoisse, les événements qui secouent en ce moment le Moyen-Orient et qui ont été appelés, prenant exemple sur la Tunisie, les révolutions du jasmin. Mais quels que soient la joie que nous avons éprouvée à l'écoute des nouvelles qui nous parvenaient de cet ailleurs si présent, la peur que les choses retombent dans un statuquo qui renverrait à une stagnation, ou pire, à un retour vers des situations auxquelles nous avons assisté ici et là, bref, que ces signes d'espoir ne se transforment en un avortement douloureux ne nous a jamais quittés.
Le Maroc, royaume où l'avènement d'un roi jeune avait suscité tant d'espoir n'échappe pas aux questionnements que provoque la région. Les régimes autocrates ont la vie dure, comme en témoigne le spectacle des répressions au Yémen, Bahreïn ou en Syrie. Nous vivons comme dans une faille spatio-temporelle au sortir de laquelle personne ne peut prédire l'avenir. Il y a comme une attente latente, partout dans les pays de la Méditerranée, et c'est cette attente, à la fois tranquille et pleine de tension, que l'oeil de Baptiste de Ville d'Avray a su figer.
Ces photographies montrent la contradiction entre un mouvement perpétuel et une immobilité des corps et même des animaux qui tous, les yeux tournés vers l'avenir, semblent s'interdire de trop rêver. Le dialogue entre les espaces vides, les espaces en chantier et les jolies maisons et les hommes et les femmes qui vaquent à leurs occupations quotidiennes, les adolescents qui contemplent la mer sans trop vouloir en abolir les limites, tout semble figé dans l'attente d'un miracle qui, soudain, redonnerait au cours de la vie son flot naturel.
Sans doute, les signes avant-coureurs sont-ils y découvrir ici. Comme un ciel avant l'orage, comme une prière sourde adressée à un Dieu sourd inabordable. La force du travail de Baptiste de Ville d'Avray est d'être parvenu à nous révéler, sans exotisme racoleur, ce que James Baldwin avait nommé : l'évidence des choses que l'on ne voit pas.
Mieux que des foules en colère, ces images nous livrent une radiographie d'un état intérieur qu'il est bien plus difficile de capturer, mais qui n'en détient pas moins, dans ses cadrages et le choix de ses sujets, les éléments d'une étrange prémonition. La pièce de monnaie est sur la tranche. Et chacun attend, avec une angoisse tranquille, de savoir de quel côté elle va retomber.
Paris, 30 juin 2011
Simon Njami, écrivain, critique et commissaire d'exposition